Une belle journée d’été à Orange Park, en Floride. Ce matin là Eddie sort son chien, un jeune beagle plein de fougue. Il est songeur mais serein : c’est toujours agréable et sécurisant de pouvoir se promener dans cette vaste propriété vallonnée. Nous sommes en effet dans une zone pavillonnaire surveillée par un gardien à l’entrée et bordée par un golf où viennent s’entrainer tous les professionnels de la région. Ce sentiment de liberté est renforcé par le fait qu’aucune barrière ne délimite les propriétés de chacun. Du coup les surfaces verdoyantes s’étendent à perte de vue.

Eddie se laisse guider par son chien qui, la truffe au vent, est à l’affut d’un gibier. Eddie aime ces promenades sans but. Ces derniers temps c’est plutôt Christies le beagle qui promène son maitre. La balade suit des chemins sinueux jusqu’à ce qu’Eddie aperçoive, au loin un attroupement. On dirait une manifestation sportive. Christies file devant, de bon train. Eddie n’a pas d’autre choix que de le suivre et se trouve bientôt alpagué par l’un des organisateurs :

« Monsieur, venez participer à notre course. C’est au profit de la sauvegarde de notre écosystème ! » Eddie observe les personnes qui sont rassemblées, l’ambiance est familiale et bon enfant. Certains parents ont chaussé leurs baskets et courent rivés à la poussette de leur enfant, d’autres le font avec leur chien à leur côté. C’est assez tentant.

Il s’inscrit finalement et enfile son dossard. Eddie a conservé une bonne condition physique de ses années de fac et veut tester sa résistance cardiaque. La course démarre, il y va de bon train mais quelque chose l’agace. A 20 m devant lui une « mamie » bien conservée qui imprime de bonnes foulées, allonge progressivement la distance qui la sépare de lui. Eddie est exaspéré de ne pouvoir inverser la tendance. Cette mamie devient son challenge, il faut à tout prix la dépasser. Son égo prend le dessus et il finit par la semer. Dans l’euphorie de la performance il ne fait pas tout de suite attention aux balises qui ont disparu ainsi que les spectateurs alentour. Se serait-il égaré ? Christies trotte devant, ça n’a pas l’air de l’effleurer. Le petit coup de fouet s’estompe soudain et il ralenti le pas. Les mains sur les hanches, voilà qu’un point de côté le taraude.

Perdu pour perdu, autant examiner les environs. Revenir sur ses pas : une perte de temps surtout que Christies, en bon chien de chasse sera capable de retrouver le chemin de la maison. Il s’enfonce encore dans le paysage de plus en plus broussailleux et anarchique. Ca lui donne l’impression d’être le premier à fouler cette zone dense et sauvage. L’atmosphère est humide, le végétal luxuriant domine à chaque strate dans cette moiteur ambiante. Il respire à plein poumons et il se fait un shoot d’humus. C’est l’extase !! Revigoré, il repart d’un pas décidé. Mais soudain il se sent aspiré par le sol.

En une fraction de seconde le voilà pris au piège d’une tourbière cachée sous des branchages. A cet endroit le sol est marécageux et instable, il s’enfonce inexorablement un peu plus à chaque pas. Il est maintenant enseveli jusqu’au torse. Avec précaution il enlève son dossard et d’un geste désespéré il le projette en avant comme un lasso dans l’espoir de l’arrimer à une souche. Ouf, il parvient enfin à se dégager ! Hors d’haleine, il s’étend à plat ventre sur la mousse. Il est tout terreux, son dos est couvert de parasites qui le démangent mais il est en vie. L’effort l’a vidé de son souffle et de ses forces. « Mais qu’est ce qui lui a pris de participer à cette course idiote ? La préservation de la nature, pff tu parles !!!! »

Il fonctionne maintenant en mode survie et fait une rapide analyse de la situation. Rien de cassé mais l’hypoglycémie le guette et il ressent déjà les premiers signe du manque d’eau. S’hydrater et se nourrir, voilà le plus urgent. Christies semble ressentir la détresse de son maître. Le voilà qui furette et tourne en cercle concentrique. Il gratte frénétiquement le sol et déterre un tas de noisettes qu’un

écureuil certainement mort depuis longtemps a dû stocker là et ensuite oublier sa cachette. Eddie mangerait n’importe quoi pour éviter le gros coup de pompe et reprendre du poil de la bête. Il ramasse une poignée des précieuses graines.

Deuxième coup du sort : une araignée qui passait par là se retrouve au creux de sa main et se sentant menacée, le mord. Eddie pousse un juron tandis que le venin de la veuve noire se répand. La douleur musculaire est intense et sa main commence déjà à gonfler. A moitié paralysé de la main droite il tente de casser les vieilles noisettes de sa main valide puis les mange. Le choc anaphylactique est si fort qu’il a des sueurs froides et la mâchoire crispée.

A ce moment là des éclairs de chaleur zèbrent le ciel. Il ne faut pas rester là, les nuages clairsemés se rapprochent. Il reprend la route avec Christies sur ses talons. El pleine torpeur, il accueille finalement une pluie chaude et drue avec plaisir. Ca le fait sortir de son état second et le requinque temporairement. La randonnée dans les sous bois se poursuit à un rythme soutenu avec l’angoisse sous-jacente de ne pas retrouver âme qui vive. Il se bat maintenant avec les fougères et les ronces qui lui lacèrent les mollets. Sa peau le lance et il saigne par endroit : un vrai régal pour les moustiques qui ne sont pas en reste. Mais tout ça lui est égal pourvu qu’il s’en sorte !!!

C’est l’enfer, étourdi par la chaleur il se croit dans la jungle vietnamienne façon commando. Il garde les yeux rivés au sol de peur de tomber encore dans un piège de cette nature si hostile. Soudain il sursaute face au cri strident d’une femme. Une joggeuse affolée hurle en le voyant : il a le visage bouffi par le venin, l’air totalement hébété et le corps luisant de sueur, à moitié couvert de boue détrempée. Hirsute, on dirait un Vendredi version Everglades !! Il ne lui manque plus que le coutelas à la main. Elle s’enfuit en courant tandis qu’Eddie reprend ses esprits et tente de la suivre. Elle a détalé si vite qu’il n’a pas réussi à la rattraper ni à lui faire comprendre sa méprise. Tout juste capable de sortir un son guttural, il se maudit intérieurement de ne pouvoir articuler mieux. Il tente de suivre sa trace au jugé et finit par entendre progressivement le bourdonnement de la civilisation sans pour autant identifier précisément le bruit. Il perçoit un son continu qui se rapproche et ressemble étrangement au vrombissement de la voiture téléguidée de son fils.

Il se croit sorti d’affaire mais il entend alors siffler quelque chose au dessus de lui. Et « Schling !! » il reçoit le projectile en pleine tête et s’étend de tout son long : black out total ! A la volée, Christies rattrape la balle de golf dans sa gueule. Frétillant, il court au devant des golfeurs dans leurs voiturettes électriques laissant Eddie, inconscient, le nez dans le gazon fraichement tondu.

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