Sophie a toujours été comme un oiseau sur une branche, en équilibre. Elle semble osciller au gré du vent l’obligeant à s’envoler contre sa volonté.

Ballotée par les alizés ou enveloppée par des vents cléments, elle a les yeux constamment tournés vers les cieux. Depuis toute petite elle avait une passion pour les majorettes : les voir projeter leurs bâtons dans les airs la fascinait au plus haut point si bien que sa mère voulut l’inscrire à des cours d’initiation. Mais cette année là Balasko fit fureur avec ses bottes rouges et sa démarche cadencée dans Nuit d’ivresse et éveilla des vocations chez beaucoup de jeunes premières tant et si bien que les inscriptions affichaient complet.

Du coup elle fut inscrite à des cours de danse : danse classique/modern jazz. Pourquoi pas après tout, Sophie n’était pas difficile et plutôt docile. Le port de tête, les pliés, demi pliés, les entrechats : tout cela agissait sur elle comme une mécanique bien huilée jusqu’à l’âge adulte. Elle était gracieuse, disciplinée et très fiable : jamais un faux pas !! Intégrée dans une troupe elle faisait régulièrement des spectacles, des représentations de quartier et même quelque fois des galas de charité.

Elle fit particulièrement forte impression au gala « Open your mind » lorsque son justaucorps se déchira à brûle pourpoint durant le porté final du Lac des Cygnes. Ce soir là un découvreur de talents se présenta dans sa loge et lui proposa de passer l’audition du Crazy Horse qu’elle réussit brillamment tant sa nonchalance habituelle dégageait à son insu une langueur chargée d’un érotisme diffus. Durant ses années parisiennes elle prit goût pour les costumes, les paillettes et toutes les fanfreluches emplumées qui garnissaient ses atours, alimentant chez elle une fantaisie qui ne demandait qu’à germer.

L’étoile filante de la revue, Tatiana, devait ce jour là réaliser un show dans un verre de champagne géant mais elle glissa allègrement dans une vomissure aux abords de l’entrée des artistes. Double entorse ! Les yeux se tournèrent alors vers Sophie qui la remplaça au pied levé. Cet imprévu donna soudain des idées au chorégraphe qui imagina un tableau glamour aux lignes destructurées avec une gestuelle et des postures de contorsionniste. Malgré sa souplesse de ballerine une formation complémentaire fut requise et on l’envoya faire ses classes au cirque Plume. Sophie découvrit un autre univers, un monde haut en couleur qui lui ouvrait ses bras et la prit sous son aile très vite.

Allongée sur le dos, au dessus d’elle le chapiteau étoilé formait une voûte céleste à sa portée et la brise légère qui la guidait alors lui enjoignit de rester avec ces gens du voyage simples et cosmopolites. Tout s’enchaina très vite : Monaco, Vienne, Berlin, le Japon … sa vie de bohème s’égrenait au rythme des visas et des tampons qui ponctuaient son passeport. Prochaine destination : Las Vegas, pour une résidence de 6 mois au Paladium Circus. Leur show cassa la baraque, le public se déplaçait en masse pour assister à son numéro juchée sur une nacelle. Elle récolta même un jeton de machine à sous lancé par un fan. Elle le relégua dans une poche de jean’s jusqu’au jour où celui-ci bloqua le tambour de sa machine à laver. Sceptique, elle le tritura dans tous les sens et finit par le lancer en l’air. Pile ! C’est décidé elle va le jouer dans une salle !

Un peu fébrile, elle se hisse sur un tabouret haut face au bandit manchot. C’est une première pour elle qui n’a jamais mis les pieds dans un casino depuis son arrivée. Elle actionne enfin le levier. Les logos s’affichent un à un et une sirène retenti soudain : Jackpot !! Un tourbillon de lumière et de paillettes l’assaillent tandis que déferlent les jetons.

La fortune lui sourit généreusement, à tel point qu’elle décida de poser ses bagages une bonne fois pour toute. Elle fit l’acquisition d’une chapelle un peu décati mais au cachet indéniable et devint du jour au lendemain…marieuse ! Elle façonna la chapelle à son image pour que son temple à l’amour soit estampillé « mariage à la française ». Pour cela elle enveloppa la pièce de cérémonie dans de grandes tentures colorées et elle choisi un mobilier baroque aux ornements chamarrés. Rapidement elle recruta les sosies d’Edith Piaf et de Cloclo qui poussaient la chansonnette à la moindre occasion et contribuaient à la gaieté ambiante.

Une dernière fois le hasard lui fit un clin d’oeil le jour où elle maria Josiane Balasko en troisième noce.

Laisser un commentaire